En photographie argentique il existe des pellicules qu’on considère comme mythique, qui font partie, en quelque sorte, de la légende de la photographie argentique. Souvent discontinuées, c’est probablement ce qui en fait des pellicules légendaires, ces pellicules sont souvent reconnues pour leur rendu et leur rareté. C’est le cas de notre sujet d’aujourd’hui, la fameuse Kodak Aerochrome, une pellicule infrarouge couleur dont la renommée n’est plus à construire.
La photographie infrarouge
Comme évoqué dans notre article sur la Rollei Infrared, la photographie infrarouge est une pratique réalisable uniquement avec des pellicules qui ont une sensibilité accrue au spectre de la lumière. En d’autres termes, une pellicule infrarouge perçoit un spectre lumineux supérieur à l’œil humain, couplée à un filtre de couleur, elle permet de révéler sur le négatif des informations que nous ne sommes pas en capacité de voir. À la différence de la Rollei Infrared, la Kodak Aerochrome est une pellicule infrarouge en couleur.
Quand la photographie sert l’armée
Après leur entrée dans la Seconde Guerre Mondiale à la fin de l’année 1941, les États-Unis rencontrent rapidement un problème lors de leurs missions de reconnaissance aérienne. Les techniques de camouflage ont tellement évolué qu’ils sont incapables de détecter l’armement et les troupes ennemies avec leur matériel photographique. L’armée américaine se tourne alors vers Kodak et leur demande s’il est possible de créer un film qui pourrait pallier leur problème. C’est ainsi que Kodak développe l’Aerochrome 1443 (“aero” pour “aeronautical”), une pellicule 70mm adaptée aux appareils embarqués dans les avions de reconnaissance, et sensible à la lumière infrarouge émise par la chloroplaste (c’est ce qui contient la chlorophylle, assurant la photosynthèse) contenue dans la végétation. L’Aerochrome permet donc de distinguer la vraie végétation, qui contient de la chloroplaste, du camouflage qui n’en contient pas et n’émet donc pas de lumière infrarouge. Kodak a aussi choisi de donner un rendu rose, lavande, voire bordeaux, pour les lumières infrarouges détectées par sa pellicule Aerochrome, de manière à ce que la végétation ressorte le plus possible du reste.
La Kodak Aerochrome : une pellicule à l’usage détourné
Dans les années 1960, Kodak décide d’adapter sa pellicule infrarouge à un usage commercial en sortant l’Ektachrome Infrared EIR en format 35mm et moyen format. L’infrarouge couleur connaîtra alors un joli succès dans une décennie marquée par les mouvements hippies, on retrouvera d’ailleurs l’esthétique de l’Aerochrome sur des couvertures d’albums de rock tels que ceux de Frank Zappa ou encore Jimi Hendrix. L’infrarouge perdra ensuite en popularité dans les années 1980, jusqu’à devenir une pratique méconnue.
En 2009, Kodak annonce l’arrêt de la production de son film Aerochrome III 1443, et met en vente les derniers exemplaires produits. C’est suite à cette annonce qu’un reporter de guerre, Richard Mosse, a pour idée d’utiliser l’Aerochrome avant qu’elle ne disparaisse complètement pour réaliser une série. Il part alors au Congo pour documenter la guerre civile qui fait rage sans être relayée par les médias occidentaux. En résultera Infra, une série d’une force exceptionnelle et unique, mélangeant des paysages remarquables et des portraits de combattants rebelles, dont les couleurs dominantes rose et rouge contrastent avec le combat qui fait rage sur place. Richard Mosse sera reconnu pour sa créativité et la manière avec laquelle il a mis en lumière une crise humanitaire méconnue, mais il sera aussi critiqué pour son interprétation du conflit et son côté “fictif” donné par les couleurs de la Kodak Aerochrome.
La Kodak Aerochrome est une pellicule mythique dans la culture argentique
Devenue mythique par son histoire unique et plus récemment par le travail remarquable de Richard Mosse, l’Aerochrome est sans aucun doute l’une des pellicules les plus légendaires de l’histoire de la photographie. Elle est devenue d’autant plus iconique depuis qu’elle a été discontinuée à la fin des années 2000. Désormais rarissime, il est possible de trouver quelques enchères sur eBay mais leur prix est exorbitant (généralement plus de 100€/rouleau) et les pellicules restantes sont périmées depuis plusieurs années ce qui ne garantit en aucun cas leur bon fonctionnement.
L’esthétique de l’Aerochrome a marqué l’histoire de la photographie, à tel point qu’elle est aujourd’hui régulièrement copiée grâce aux technologies numériques, c’est le cas par exemple dans le clip du morceau Yamborghini High, du groupe A$AP Mob, sorti en 2016 (et qui est directement inspiré du travail de Richard Mosse).
L’avis de Club Argentique sur la Kodak Aerochrome
La Kodak Aerochrome est devenue depuis quelques années un “Saint Graal” en matière de pellicule argentique. Au même titre que les Polaroïds grand format Fuji FP-100C, la rareté et l’exception de l’Aerochrome amène beaucoup de spéculation et les prix s’envolent sur internet. Cette pellicule représente pour nous la quintessence de la photographie, dans le sens où cette pellicule a été développée par Kodak pour répondre à une problématique et pour un usage militaire, et cela représente finalement notre vision de la photographie : un médium qui permet de s’exprimer, et qui ne connaît aucune restriction de liberté dans l’utilisation qu’on en fait, qu’on l’utilise comme prévu ou qu’on en détourne sa fonctionnalité première.
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